
La gestation pour autrui en France suite à l’avis consultatif de la Cour Européenne
Publié le :
20/07/2021
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Entre le droit à l'enfant et le droit de l'enfant
Introduction
Suite à la saisine de la Cour de Cassation au sujet du lien de parenté avec les enfants nés de gestation pour autrui, la Cour Européenne a rendu son avis le 10 avril 2019.Pour rappel, la gestation pour autrui (GPA) est le fait pour une femme, désignée généralement sous le nom de « mère porteuse », de porter un enfant pour le compte d’un « couple de parents d’intention » à qui il sera remis après la naissance.
Il s’agit d’une forme d’assistance médicale à la procréation qui consiste en l’implantation dans l’utérus de la mère porteuse d’un embryon issu d’une fécondation in vitro (FIV) ou d’une insémination.
Selon les cas, soit le couple d’intention a un lien génétique avec l’enfant, soit le couple d’intention n’a aucun lien génétique avec l’enfant, soit le couple a un lien génatique partiel avec l’enfant.
En France, la gestation pour autrui est interdite depuis la loi du 29 juillet 1994 dite loi bioéthique, laquelle a introduit dans le Code Civil l’article 16-7 aux termes duquel « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».
D’autres pays européens ont interdit la GPA comme l’Allemagne, l’Italie. Certains pays l’acceptent comme le Canada, l’Inde, le Danemark, les Pays Bas, la Russie.
La loi et la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat
Comme indiqué ci-dessus, la GPA est interdite par la loi du 29 juillet 1994.Dès 1989, la Cour de Cassation a affirmé la nullité des conventions de gestation pour autrui en application de l’article 1128 du Code Civil selon lequel « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions ».
Elle a affirmé la non-conformité de ces conventions conformément au principe d’ordre public de l’indisponibilité de l’état des personnes.
Les jurisprudences de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat s’opposent.
La Cour de Cassation a confirmé ces principes dans une jurisprudence de 1991. Elle les a confirmés en 2008 puis en 2011, refusant la transcription sur les registres de l’état civil français d’actes de naissance établis en Californie pour deux enfants nés à l’issue d’une gestation pour autrui, refusant de reconnaître en droit français la filiation établie entre les enfants d’une mère porteuse et leurs parents d’intention, considérant que cette non transcription ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que leurs droits californiens leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec leurs parents en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 paragraphe 1 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.Le Conseil d’Etat lui fait prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant.
Quel est dans ce cas la situation juridique des parents d’enfants nés d’une mère porteuse et la situation juridique des enfants ?
Une circulaire du 25 janvier 2013 a recommandé aux greffiers en chef des tribunaux d’instance, procureurs généraux et procureurs de la république, de faciliter la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger à l’issue d’une GPA de parents français en application de l’article 47 du Code Civil selon lequel « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ».La Cour de Cassation confirme et durcit sa position. Ainsi par un arrêt du 13 septembre 2013, elle privilégie l’ordre public sur l’intérêt de l’enfant. Elle considère que de telles pratiques sont une fraude à la loi française. Cette fraude supplante l’intérêt supérieur de l’enfant visé par le Conseil d’Etat en références à l’article 3 paragraphe 1 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation a approuvé la Cour d’Appel d’avoir déduit de la fraude à la loi la nullité de la reconnaissance de l’enfant par le père d’intention.
La Cour de Cassation sursoit à statuer concernant la transcription d’actes de naissance étrangers.
Tout récemment le 10 avril 2019, la Cour de Cassation a demandé à la Cour Européenne des Droits de l’Homme un avis consultatif concernant ces questions épineuses.En effet, la Cour de Cassation saisie de la question de la transcription d’actes de naissance étrangers indiquant deux hommes ou deux femmes comme parents, sursoit à statuer pour attendre l’avis demandé à la Cour Européenne des Droits de l’Homme à propos des actes de naissance désignant comme mère une femme qui n’a pas accouché de l’enfant.
En effet, comme indiqué ci-dessus, pour échapper à la prohibition française de la gestation pour autrui, des Français se rendent à l’étranger dans des Etats où la pratique est légale pour y obtenir des enfants par ce moyen.
La naissance de l’enfant est déclarée dans son pays de naissance. Ainsi de retour en France, les « commanditaires » de l’enfant demandent la transcription sur les registres français d’état civil des actes de naissance étrangers des enfants.
Les actes qui indiquent comme parents le père biologique et la conjointe de ce dernier ne peuvent être transcrits que partiellement. Seule la mention relative à la filiation paternelle qui est exacte peut être transcrite. Cependant la mention qui attribue la maternité à la femme qui n’a pas accouché de l’enfant puisque ce dernier est né d’une mère porteuse ne peut être transcrite car « concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité est la réalité de l’accouchement. »
(Cass. 1ère civ. 5/07/2017 n° 16-16.901 P + B + R + I ; Cass. 1ère civ. 5/07/2017 n° 15-28.597 P + B + R + I ; Cass. 1ère civ. 5/07/2017 n° 16-16.495 P + B + R + I ; Cass. 1ère civ. 5/07/2017 n° 16-20.052 P + B + R + I ; Cass. 1ère civ. 5/07/2017 n° 16-16.455 P + B + R + I).
Deux jurisprudences ont confirmé cette position (Cass 1ère civ. 29/11/2017 n° 16-50.061 P + B ; Cass. 1ère civ. 14/03/2018 n° 17-50.021).
La Cour de Cassation a été saisie le 5 octobre 2018 d’une nouvelle affaire relative à la transcription de cette maternité dite « d’intention ». Elle a sursis à statuer pour poser la question à la Cour Européenne des Droits de l’Homme concernant la question de la marge d’appréciation des Etats en pareil cas (Cass. Ass. Plen. 5/10/2018, n°10-19.053 et n° 12-30.138).
Deux autres demandes de sursis à statuer ont suivi qui datent du 20 mars 2019 à propos de nouvelles demandes de transcription.
- En ce qui concerne le premier arrêt (Cass. 1ère Civ. 20/03/2019 n° 18-11.815 et n°18-50.006), deux hommes ont eu recours à la GPA aux Etats-Unis et la demande de transcription concerne des actes de naissance américains désignant les deux hommes comme parents, le premier étant indiqué comme père/parent et le second comme mère/parent.
La Cour d’Appel ayant autorisé la transcription de la seule mention désignant comme père le père biologique, le pourvoi lui reproche son refus de transcription de la mention désignant le second homme comme « parent ».
- Dans le deuxième arrêt (Cass. 1ère civ. 20/03/2019 n° 18-14.751 et n° 18-50.007), deux femmes en couple ont été inséminées par donneurs au Royaume Uni. Chacune a mis au monde un enfant et les actes de naissance indiquent pour chacun des enfants sa propre mère ainsi que l’autre femme à savoir la mère de l’autre enfant comme « parent ».
En ce qui concerne la transcription de la mention d’un second homme ou d’une seconde femme comme parent, il est à préciser que l’acte d’état civil ne peut pas comporter de mentions sciemment inexactes et indiquer comme mère une femme qui n’a pas mis l’enfant au monde : il s’agit d’une infraction pénale. Quant à la paternité qui n’est pas certaine, si elle est présumée elle peut correspondre à la réalité, si ce n’est pas le cas elle pourrait être contestée et anéantie.
Le droit français en l’absence de contentieux exige la vraisemblance de la filiation (cf article 320 du Code Civil). L’adoption est alors le seul moyen d’établir une double filiation paternelle ou maternelle.
La transcription du jugement d’adoption tient lieu d’acte de naissance mais ne prétend pas être l’acte de naissance originel de l’enfant.
Si on acceptait de porter dans l’acte de naissance initial des mentions non seulement inexactes mais encore invraisemblables comme une seconde mère ou un second père, ce serait contraire à la loi et cela priverait l’acte de naissance de toute signification. Il ne renverrait plus l’enfant à l’évènement de sa naissance, ne lui indiquerait plus son origine et ne le situerait plus dans la chaine des générations.
Si on envisageait la transcription d’un acte indiquant ab initio une double filiation paternelle, cela supposerait une refonte du droit de la filiation qui dépasse de loin la compétence de la Cour de Cassation, y compris sous prétexte ( ?) de l’avis de la Cour Européenne (voir l’article de Aude MIRKOVIC, Maître de conférence en droit privé à l’Université d’EVRY).
L’avis de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 avril 2019
Ainsi, la Cour de cassation a adressé à la Cour européenne des droits de l’Homme une demande d’avis consultatif afin de savoir si le refus de transcrire un acte étranger désignant comme étant la mère légale la mère d’intention était contraire à l’article 8 de la Convention (respect de la vie privée et familiale). Elle lui demande également s’il y a lieu de distinguer mère d’intention avec lien biologique ou sans lien biologique. Elle lui demande enfin si le passage par l’adoption permet de répondre aux exigences de l’article 8.Ce raisonnement serait applicable pour les pères d’intention.
La Cour européenne a répondu le 10 avril 2019 :
« Pour le cas d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui (GPA) et issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse et alors que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne,
1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ».
2. le droit au respect de la vie privée de l’enfant ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle l’adoption de l’enfant par la mère d’intention. »
La Cour européenne a répondu que la filiation entre l’enfant et la mère d’intention non biologique doit être établie mais les États sont libres de choisir le moyen légal d’y parvenir, de sorte que l’adoption est une solution possible.
Ainsi le lien de filiation doit être établi pour les deux parents, la Cour laissant aux États la liberté quant à la façon d’y parvenir.
En conséquence, la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation ne change pas.
Conclusion :
En résumé après cet avis, la liberté d’agir pour les Etats est grande, même si la filiation doit être établie pour l’enfant ce qui semble être la moindre des choses, mais pas par m’importe quel moyen et notamment pour la Cour de cassation.Historique
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